Bruxelles est-elle prête pour “la Belgique à quatre Régions” ?

(Par Adrien Naessens) - L'avenir de Bruxelles est remis en question. L'actualité semble freiner l'enthousiasme de nombreux Bruxellois pour un renforcement de la Région bruxelloise, constate Adrien Naessens, étudiant en sciences politiques à l'ULB. Il effectue un stage au sein du groupe Open Vld au Parlement bruxellois et a lu avec un regard critique Bruxelles dans une Belgique à quatre régions, une publication en ligne de l'Institut d'études bruxelloises.
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L'avenir de Bruxelles est incertain. Tant au niveau national qu'international, la capitale est confrontée à de nombreux défis. En raison notamment de la complexité institutionnelle, de l'émiettement des compétences et d'un mode de financement jugé inéquitable par beaucoup, il semble impossible de garantir une gouvernance efficace. Bruxelles se retrouve ainsi au cœur du débat dans le cadre d'une possible septième réforme de l'État. Mais comment façonner cette réforme ?
Il y a quelques années, en 2011, Johan Vande Lanotte, ancien vice-Premier ministre, a écrit un essai qui a posé les bases d'une nouvelle vision du fédéralisme belge : Vers une Belgique à quatre[1]. En 2018, le professeur Philippe Van Parijs a publié Belgium, une utopie, un livre qui a déclenché un débat au sein des cercles académiques et politiques[2]. Controversé, mais inspirant, semble-t-il.

En 2025, après de nombreux colloques, débats et publications, une suite a vu le jour. Un groupe restreint d'universitaires a proposé un ouvrage en ligne : Bruxelles dans une Belgique à quatre régions : défis, opportunités et perspectives[3]. Ce livre envisage une division de la Belgique en quatre régions à part entière, plutôt qu'en trois Communautés et trois Régions qui se chevauchent en partie. Cette proposition serait-elle une solution, une issue aux difficultés que connaît Bruxelles depuis un certain temps ? L'actualité semble déjà refroidir les espoirs : l'incapacité à former un gouvernement bruxellois après plus de huit mois semble donner tort aux universitaires.
L'émiettement institutionnel
La situation institutionnelle actuelle en Belgique est confuse. Ses structures sont difficilement lisibles. Par exemple, à Bruxelles, pas moins de six entités peuvent légiférer : l'État fédéral, la Région bruxelloise, les Communautés flamande et française, ainsi que la COCOF (Commission communautaire française) et la COCOM (Commission communautaire commune). Heureusement, la Commission communautaire flamande (VGC) n'a pas de pouvoir législatif.
Ainsi, six législateurs différents rien que pour Bruxelles. Est-ce un luxe ? Cette surabondance entraîne des chevauchements administratifs et une confusion qui entravent souvent une gouvernance efficace. Bref, une réforme est nécessaire.
La réforme des institutions belges ne doit pas être un alibi pour abandonner la collaboration entre francophones et néerlandophones, en particulier dans sa capitale bilingue.
Le livre plaide pour une région bruxelloise pleinement autonome. Nous pourrions résoudre la répartition complexe des compétences en fusionnant celles de la Région et des Communautés à Bruxelles. C'est déjà le cas, de facto, pour les hôpitaux, les infrastructures sportives, les maisons de repos et de nombreux autres domaines relevant traditionnellement des Communautés[4]. Depuis la dernière réforme de l'État, cela vaut aussi pour les allocations familiales. Même dans certains domaines culturels, une politique complémentaire bruxelloise est possible. La lisibilité des institutions bruxelloises bénéficierait d'une fusion formelle de ces compétences.
Et qu'en est-il de l'éducation ? On pourrait choisir de ne plus placer l'enseignement sous la tutelle des Communautés française et flamande, mais directement sous celle de la Région bruxelloise. Ou, de manière moins radicale, autoriser un réseau éducatif bruxellois multilingue en parallèle des réseaux francophone et néerlandophone. L'enseignement reste un sujet sensible qui mérite de la nuance, comme le souligne Johan Vande Lanotte dans une interview pour Bruzz[5].
En résumé, une région bruxelloise renforcée garantirait plus de cohérence et d'efficacité. Qui est mieux placé pour décider de Bruxelles que Bruxelles elle-même ?
Un financement durable et équitable
Bruxelles mérite un meilleur financement pour ses infrastructures de base, qui bénéficient à l'ensemble de l'économie belge. La capitale représente 19 % de la richesse nationale (PIB)[6] tout en n'abritant que 10 % de la population. Un partage plus équitable des recettes fiscales liées aux salaires des navetteurs travaillant à Bruxelles est nécessaire.
Bruxelles compte un nombre exceptionnellement élevé de travailleurs résidant en périphérie (413 000 selon Statbel en 2022)[7]. L'impôt des personnes physiques est perçu à l'endroit où le travailleur réside et non à l'endroit où il travaille, contrairement à la norme internationale. Ce sont des revenus que Bruxelles perd, alors qu'ils pourraient être investis dans des infrastructures profitant à tout le pays.

Une Belgique à quatre : la fin de la coopération ?
Le modèle des quatre Régions réduirait les tensions communautaires entre la Flandre et la Wallonie. Mais il existe aussi un risque que ce modèle ouvre la voie à une fragmentation accrue et alimente les aspirations indépendantistes, notamment du côté nationaliste flamand.
La réforme des institutions belges ne doit pas signifier la fin de la coopération entre les différentes entités du pays. La Belgique a besoin de collaboration entre ses composantes francophone et néerlandophone, en particulier dans sa capitale bilingue.
Le niveau fédéral reste essentiel pour garantir cette coopération entre les régions. L'objectif ultime des partisans du modèle à quatre n'est donc pas de glisser subrepticement du fédéralisme vers le confédéralisme. Pour éviter ce glissement, une force de cohésion est nécessaire : la Belgique fédérale.
La transition vers une Belgique à quatre régions offre une opportunité unique de moderniser les institutions bruxelloises et de rendre la gouvernance plus efficace et transparente. L'impasse persistante dans la formation d'un gouvernement bruxellois, qui dure depuis huit mois, illustre la complexité institutionnelle actuelle et entrave une gestion efficace de la capitale. Regrouper toutes les compétences sous une région bruxelloise pleinement autonome pourrait mettre fin à cette fragmentation.
Cependant, cette crise politique soulève aussi des doutes quant à la capacité des Bruxellois à gérer eux-mêmes cette autonomie. Cette situation nuit à l'identité bruxelloise grandissante[8], à la confiance accrue des Bruxellois en eux-mêmes et à la volonté des politiciens locaux de s'engager dans une réforme de l'État qui ferait de Bruxelles une région à part entière, avec des compétences régionales et communautaires, aux côtés de la Flandre, de la Wallonie et de la Communauté germanophone.
Adrien
Naessens
Stagiaire au sein du groupe Open VLD
Parlement
bruxellois
24
février 2025
[1] Vande Lanotte, J. (2011). De Belgische Unie bestaat uit vier deelstaten. S.l.: s.n.
[2] Van Parijs, P. (2018). Belgium: Een utopie voor onze tijd. Academia Press.
[3] https://lup.be/book/brussel-in-een-belgie-met-vier-gewesten/
[4] https://lirias.kuleuven.be/retrieve/273007
[5] https://www.bruzz.be/politiek/johan-vande-lanotte-naar-een-belgie-met-vier-deelstaten-2020-01-22
[6] https://www.standaard.be/extra/pdf/belgieblootgelegd/bb7/bb7pagina4.pdf
[7] https://leefmilieu.brussels/burgers/tools-en-data/het-milieu-stand-van-zaken/brusselse-context-bhg?